Chronique CD

Pedro Bacán & le clan des Pinini

Remate / Peewwe-Socadisc

Pedro Bacán ( compositions, guitare) , Antonio Moya (seconde guitare), Inés Bacán, Pepa de Benito, Joselito de Lebrija ( «cante», chant), Concha Vargas, Carmen Ledesma (« zapateo», danse), Antonio Peña (palmas)

CD 1 Pedro Bacán & le clan des Pinini «live»

CD 2 Remate

On entre souvent dans l’univers du flamenco comme réceptacle d’une terre, d’un peuple gitan, de personnalités fortes, du cœur battant d’une famille. Et question expression artistique on y tutoie musique, chant ou danses, soit la transmission directe du fil rouge et noir d’une tradition forte. À cet effet les Pinini de Lebrija, village culte d’Andalousie en représentent une manière de profil de médaille. Sauf qu’à la base, à l’origine il d’agit bel et bien d’une famille…de bouchers « Mes ancètres dans ce métier pratiquaient eux l’art de la viande» raconte, pince sans rire Pedro Bacán avant de préciser aussitôt « Mais du temps de mon père déjà le flamenco était bien la musique maison» (cf La musica de la casa dans le disque 2 de l’album) Le présent double album de notes et de mots on ne peut plus flamencos, bel objet physique présenté avec goût, enrichi de photos saisissantes de vérité, le raconte pourtant sans détours: s’il devait figurer dans une galerie de portraits du genre, Pedro Bacàn disparu accidentellement en janvier 1997 à l’âge de 46 ans représente lui bel et bien une exception. Ce qui frappe avant tout dans son «arte» ? La modernité : «J’ai choisi la guitare parce qu’au delà du chant elle me permet plus d’audace dans l’harmonie, jusqu’ à oser si besoin certaines dissonances…» Effectivement dans le concert tonitruant ( disque 1) enregistré live à la MC93 de Bobigny il s’aventure au delà des passages d’accords, il se plaît à défier à chaque mesure les combinaisons possibles de ses cordes, il complexifie son jeu jusqu’à intégrer au besoin les sésures du silence. Des plans, des trouvailles techniques que l’on retrouvera – métissés chez eux de jazz et de musiques latines notamment- chez d’autres «maestros» de la guitare tels Paco de Lucia, Manolo San Lucar ou Tomatito.

Le second volet (disque 2), né d’un travail de recherche inspiré de la part des producteurs, livre un épisode ouvragé inédit livré en solo. Interviews pour les mots, les idées. Guitare en expression directe en mode d’illustrations du propos, d’exercice vivant de la philosophie de son flamenco personnel, original. Il faut écouter alors Pedro Bacán, sa parole, la vérité simple de ses mots, leur pertinence sur sont art, sur son être flamenco. Il faut entendre les sons de sa guitare surtout. Car il se définit avant tout comme guitariste. On doit appréhender toutes ses musiques en tant que voyage perpétré en terre gitane. Et au delà. En ce qu’il revendique une injection, une circulation de sang musical dit «oriental» Une telle ligne créatrice figure un marqueur supplémentaire de sa modernité en cette fin de XXe siècle en tant que précurseur d’un certain universalisme du flamenco «vivo», vivant -d’aucuns l’auront qualifié de blues gitan. Il joue là en quelques minutes sur son terrain d’idées neuves, d’improvisation innovante. Au delà de la simple tradition, volontairement hors limite. Pedro Bacán -on ne saura jamais jusque où et comment- embarque ici sa guitare dans la richesse d’une musique flamenca ancrée dans le champ d’une expression ni tout à fait savante ni trop restrictivement populaire. Flamenco définitivement multiple. Explicitement ouvert.

Robert Latxague

Laisser un commentaire